Saveur du sommeil yogique
Paru sur le site du Journal du yoga
Le Journal du Yoga D'où viendrait le yoga nidra ?
Pierre Bonnasse Du Seigneur Narayana lui-même ! Le yoga nidra
s'inscrit surtout dans la tradition orale et il est impossible d'en situer une
origine spatio-temporelle précise et limitée. Les textes l'évoquent en parlant
de Vishnu dans son repos éternel. L'iconographie populaire montre Shiva dans la
posture du cadavre. La Mandukya Upanishad pose les bases d'un yoga du sommeil.
Dans ses commentaires, Gaudapada, le maître du maître de Shankarâchârya, parle
d'un yoga « sans contact » (asparsha-yoga) qui n'est pas sans lien avec le yoga
nidra... Son propre maître aurait d'ailleurs été Narayana... Tout vient du Soi
finalement... et tout y retourne. Il n'y a que le Silence.
JdY Pouvez-vous nous décrire la technique du yoga nidra ?
P.B. En tant que moyen, le yoga nidra déploie tout un éventail de
pratiques : pour le réveil, les différents moments de la journée,
l'endormissement du soir et la nuit. Il y a des techniques préparatoires, qui
jouent avec les différentes poses du corps, du souffle et de la pensée afin
d’en observer les processus et de s'éveiller à une qualité d'attention plus
fine. Puis il y a les longues séances formelles, immobiles, dans la posture du
cadavre (shavasana). Elles commencent par une phase de relaxation,
d'observation du souffle, puis de prise de conscience très subtile des corps
physique, énergétique et mental. Tout dépend ensuite de l'intentionnalité. La
séance peut aller explorer les différentes structures de l'être, les différents
états de la conscience, les zones de passage et d'entre-deux, les sens, les
désirs, les peurs, les processus mentaux…
JdY Quelle est la place de la structure énergétique dans cette
pratique ?
P.B. Essentielle, car elle permet de comprendre les relations
qu’entretiennent le corps et l’esprit... Nombre de séances explorent le
fonctionnement des chakra (centres d’énergie), des nadi (méridiens), des
pranavayu (souffles vitaux de la respiration, la digestion, l’excrétion, etc.)
en relation avec la thérapeutique ou la connaissance de soi. La saveur de
l’énergie, le ressenti intime de la vie qui nous traverse et nous habite, est une
porte d’entrée vers l’Être et la présence joyeuse à soi-même.
JdY Y a-t-il des moments plus particuliers dans le yoga nidra ?
P.B. Quand le yoga nidra arrête de devenir une technique, une action,
et se révèle comme une qualité d'être. Quand l'attention s'éveille à sa propre
substance. Lorsque le pratiquant disparaît, la peur disparaît, et il y a la
présence impersonnelle de la conscience et de la joie pure. Ce n'est alors plus
un « moment particulier », mais l'éternité dans laquelle tous les moments se
passent. C'est la splendeur de la grâce.
JdY Quelle est la relation du yoga nidra
avec la relaxation ?
P.B. La relaxation, c'est la base. Il faut être relaxé pour entrer
profondément en yoga nidra. Plus je suis relaxé, tranquille, et plus je suis
disponible, perméable, ouvert à une autre influence. D'abord repérer les
tensions ; conscient de ce qui est tenu, averti de ses schémas mentaux, il est
alors possible de lâcher prise et de nouveaux degrés de relaxation se
dévoilent. Les crispations les plus subtiles se dissolvent dans la lumière de
l'attention. Et celui qui tient finit par disparaître. Ou pas ! (Rires.) En
combinant la relaxation très profonde à une très grande vigilance, il peut
alors m'être donné l'occasion de reconnaître un espace toujours tranquille et
par nature libre de tension, qui ni se tend ni se relaxe. Il en émane un doux
sentiment de paix et de liberté.
JdY Peut-on parler du yoga nidra comme de la méditation du sommeil ?
P.B. Si vous voulez, mais il s'intéresse autant à l'état de veille
qu'à celui de rêve et de sommeil profond. Ces trois états sont liés et on ne
peut en comprendre un sans comprendre les autres, et on ne peut comprendre ces
trois sans reconnaître la réalité qui les unit. C'est un goût sans ego, une
saveur sans objet. Il y a méditation, mais personne pour le faire.
JdY Avec quelles lignées ou traditions vous sentez-vous proche ?
P.B. Du yoga, du vedanta et du tantra. J'ai été profondément touché
par les enseignements de Ramana Maharshi et de Nisargadatta Maharaj. La présence
du mont Arunâchala demeure toujours en arrière-plan. Côté yoga, je suis plutôt
inspiré par les enseignements de Shri Aurobindo, des Nâthayogi de Bénarès, de
Shri Anirvan et des maîtres de l'Himalaya. Mais le grand maître reste la vie,
c’est d’elle que je me sens proche... Elle est toujours disponible, derrière
chaque souffle et entre chacun d’entre eux...
JdY Est-ce important d'appartenir à une tradition ?
P.B. L’important c’est de vivre la Tradition, la laisser être à
travers nous. Recevoir et donner des enseignements qui ont fait leurs preuves
au cours des siècles, en partager la pratique avec d’autres êtres, c'est
essentiel, sacré. C’est l’essence même de la transmission. Cette Tradition est
« éternelle », sans naissance. Comment pourrait-elle alors disparaître ? Nous
ne faisons qu’Un avec elle, ce n’est pas quelque chose de séparé.
JdY Dans votre livre, quel type d'approche avez-vous privilégié ?
P.B. Conciliatrice des principaux points de vue (darshana) de la
philosophie indienne et des enseignements que j'ai reçus. Mais j’essaye
aujourd’hui d’adopter l'approche la plus phénoménologique possible. Cela
demande d'oublier son savoir à propos des choses pour revenir aux choses
elles-mêmes, à leur apparaître, à leur origine. à chaque instant, être témoin de
la naissance du monde, de sa résorption. C’est une approche non-préhensive.
C'est vrai pour l'auteur et ça l'est tout autant pour le lecteur, qui doit
s'approprier la démarche intérieure, vivre l'expérience, l'exploration et le
grand vide. C'est là qu'il trouvera le véritable guide et la réponse à votre
première question. (Rires.)
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